Le Sublime et le Pire PDF Imprimer
Écrit par Marc-Mathieu Münch   
Dimanche, 23 Juin 2019 17:39

 Compte rendu de Agnès Felten: Conjonctions et constellations du Sublime et du Pire dans les œuvres de Friedrich Schiller, Lord Byron et Alfred de Musset. Université d’Anvers. Faculté de Philosophie et Lettres, 2019, sous la direction de Kathleen Gyssels.

 

Un esprit attiré par les grandes questions ouvrira avec plaisir la thèse de littérature comparée d’Agnès Felten. C’est un gros volume bien rédigé, richement documenté et  audacieux dans son ambition. La candidate a abordé un sujet difficile, mais qui finit par apporter au chercheur curieux du romantisme européen des idées précieuses.

 

L’introduction nous met d’abord en face d’une affirmation étonnante. Il y aurait dans les œuvres complètes de Schiller, Byron et Musset une donnée commune : l’intrication du Sublime et du Pire.

 

Qu’est-ce à dire ? Le volume prétend prouver que ces trois auteurs symbolisent l’évolution de la littérature européenne entre le Sturm und Drang et le romantisme par le thème du Sublime et du Pire.

 

Il est toujous difficile d’isoler un petit nombre d’auteurs et de thèmes pour définir un moment clé de l’histoire littéraire, mais les nouvelles thèses ne nous obligent-elles pas à éviter les corpus trop gigantesques ? La candidate avoue d’ailleurs sagement qu’il y a quelque chose d’arbitraire dans son choix.

 

Pour ce qui est des méthodes, Agnès Felten a choisi les outils de l’histoire, du close reading, de l’intertextualité, de la psychanalyse, de la mythographie et de Gilbert Durand.

 

Elle choisit aussi, évidemment, de nous donner une étude détaillée du sens de la notion de sublime  depuis l’Antiquité et de définir ensuite le Pire par rapport à ce Sublime. Elle le présente comme un ensemble complexe  fait de thèmes, de motifs, de situations et de personnages, sans oublier les côtés apocalyptiques, pessimistes, moraux et, bien sûr, esthétiques. Elle y ajoute l’obsession, la fascination, le pathos et l’ethos.

 

C’est beaucoup ! J’avoue que je suis arrivé à la fin de l’introduction (p. 59) sans être certain d’avoir bien compris de quoi, finalement,  il s’agirait. Mais j’ai fini par comprendre et par approuver.

 

La première partie plonge le lecteur dans une documentation riche pour montrer que nos trois auteurs sont, certes, fascinés par la noirceur et par la négation, mais qu’au fond ils sont à la recherche de l’idéal perdu.

 

Dans la deuxième partie, l’auteure détaille longuement les éléments de ce Pire, c’est-à-dire la marginalité, la morbidité, l’étrange, le crime, la mort et quelques autres. Cela ne va pas sans une certaine posture auctoriale. Agnès Felten la présente successivement comme autobiographique et comme posture purement auctoriale.

 

Vient la troisième partie qui est la plus importante. Aussi aurait-elle mérité une introduction, voire une transition développée. Mais on finit par comprendre que, comme par un  grand rétablissement, chez ces  trois auteurs le mal, la noirceur et la faiblesse des humains sont finalement aussi l’occasion d’une nouvelle transcendance, c’est-à-dire d’un Absolu.

 

C’est qu’il y a encore chez Schiller, Byron et Musset, du sublime, des personnages admirables, de belles actions et de la beauté. Agnès Felten développe ensuite les nombreux éléments de l’esthétique romantique qui effectuent le renversement. Ce sont les forces vivifiantes de l’art, une visions théologique ainsi qu’une sacralisation de l’art et de l’artiste comme la critique l’a souvent souligné. Mais ce sont aussi des valeurs morales, une plongée dans l’intime, une revalorisation de la sensibilité humaine. C’est enfin une réflexion plus générale sur la nature et la puissance de l’art.

 

Ainsi se crée, après un XVIIIe siècle incroyant, une esthétique du Sublime en conjonction avec son contraire ce qui apporte aux artistes «  une palette plus large ».

 

En ce sens on peut en effet penser qu’il est possible de considérer les œuvres de Schiller, de Byron et de Musset comme typiques du tournant littéraire allant du dix-huitième siècle encore dominé par la poétique classique à la modernité qui commence d’en inventer de nouvelles….

Marc-Mathieu Münch